La participation politique en ligne et les réseaux d’influence
Durant la campagne présidentielle de 2022, nous avons assisté à un ébranlement du paysage politique qui a permis de déceler de nouvelles façons de faire campagne avec notamment les nouveaux partis, également appelés les « partis-plateformes », qui se sont massivement structurés autour du numérique. Comment ces différentes catégories de partis ont-elles mobilisé les réseaux sociaux lors de la campagne présidentielle de 2022 ? C’est cette question qui a intéressé les chercheur.se.s du projet PARTICIPATION, financé par le LabEx SMS.
Compte-rendu de la présentation de Julien Figeac, sociologue au laboratoire LISST, lors de la journée de restitution des projets sur les “mondes numérisés” du LabEx SMS du 3 mai 2024.
Le projet PARTICIPATION a pour vocation d’appréhender comment les partis politiques ont utilisé Facebook durant la campagne présidentielle de 2022, dans un contexte politique inédit : l’effondrement de certains partis historiques et l’émergence de nouveaux partis, tels que La France Insoumise, La République en Marche (actuellement Renaissance) ou encore Reconquête.
La structuration des partis constitue l’une des différences majeures entre ces organisations politiques : les partis historiques1 se sont traditionnellement construits autour d’un corps idéologique, de références communes et organisés collectivement autour de ces idées. Les nouveaux partis sont quant à eux plutôt centrés autour d’un leader charismatique qu’ils souhaitent amener au pouvoir.
Face à cette différence structurelle, les chercheurs du projet PARTICIPATION ont souhaité savoir si les nouveaux partis et leurs adhérents avaient un usage différent des réseaux sociaux numériques. Pour cela, ils se sont focalisés sur Facebook et ont analysés les comptes et pages spécifiques de ces différents camps politiques. Nous présenterons ici trois de leurs résultats de recherche portant sur :
- les pratiques ;
- les stratégies de communication et de publication ;
- les sujets abordés par les partis.
Les pratiques
Afin de distinguer les différentes pratiques, l’équipe de recherche a mesuré l’audience et l’activité des pages et comptes analysés. Les nouveaux partis comptent plus d’abonné.e.s (par exemple 5 millions pour LREM contre 3 millions pour le Rassemblement National) et sont beaucoup plus actifs que les partis traditionnels lorsqu’il s’agit de partager ou publier (par exemple Reconquête a partagé 1800 publications sur Facebook seulement sur la période de janvier à avril 2022). Cela va de pair avec des abonné·e·s qui réagissent également plus vite et en plus grand nombre (likes, commentaires).
Stratégies de communication et de publication
Ensuite, les chercheurs ont tenté de comprendre les stratégies de communication et de publication des partis en menant des entretiens auprès d’administrateurs de communauté en ligne (chargés de communication), notamment à un niveau national. Leur rôle est d’animer les pages Facebook en entretenant une ligne éditoriale qui répond à des enjeux locaux spécifiques. Cela les mène notamment à relayer les informations nationales susceptibles d’être pertinentes à une échelle locale.
Ces échanges ont mis en lumière la liberté surprenante des animateurs de pages vis-à-vis des contenus pouvant être relayés sur la campagne des candidat·e·s. La communication n’est pas tant top-down que nous pourrions penser, avec des contenus multimédias préformatés qui circulent de Paris vers la province. Elle adopte plutôt un modèle hybride avec une communication qui repose principalement sur du bricolage et des initiatives locales.
Les sujets abordés par les partis
Enfin, un des autres aspects de la recherche s’est appuyé sur une enquête déjà faite lors des élections de 2017 en mobilisant cette fois-ci la méthode du machine learning, un des champs d’application de l’intelligence artificielle, avec pour objectif d’analyser les principaux sujets abordés par les partis lors de la campagne électorale. Ils ont entraîné un grand modèle de langage, afin qu’il aille fouiller les publications des partis politiques et qu’il détecte de grands thèmes tels que l’économie, l’environnement, la santé, l’éducation, etc. Afin d’entraîner l’IA, l’équipe a labellisée manuellement des messages en les associant au thème abordé puis ont laissé l’IA reproduire le travail de labellisation, en effectuant quelques corrections le cas échéant. Cette méthode permet ainsi de comprendre, de façon plus fine le poids des différents lexiques dans les publications des partis, par rapport à l’utilisation de méthodes lexicales classiques.
Les résultats montrent généralement que les programmes politiques ne représentent qu’un tiers des messages et publications portés par les partis et que le reste est plutôt consacré à faire de la publicité pour les meetings, réunions publications, passages télévisés, etc. des candidat·e·s soutenu·e·s. D’ailleurs, les lignes éditoriales se différencient entre les partis traditionnels et les « partis-plateformes », qui utilisent respectivement les médias sociaux, soit comme un véritable tract électoral, soit comme un outil de coordination. Si les partis plus anciens publient majoritairement des messages mettant en avant la personnalité et le message des candidat·e·s, à la manière des médias traditionnels (TV ou presse), les nouveaux partis, quant à eux, choisissent plutôt de mettre l’accent sur les dates importantes à l’activité militante (meeting, réunions, etc).
Les suites du projet
Ce corpus considérable a permis d’amorcer une autre analyse, à savoir la mise en miroir de la communication des partis avec les attentes de leur audience.
La sociologie politique considère que le modèle dominant de communication politique consiste à se positionner sur le thème principal porté par le parti (par ex. l’environnement pour le parti Europe Écologie – Les Verts). Cela permet de faire écho avec les adhérents et abonnés qui sont en attente de messages forts sur ce thème structurant pour eux. En réalité, l’enquête montre qu’il existe souvent un désalignement entre les sujets abordés par les partis et les intérêts de l’audience. En prenant en compte ce qui a été le plus liké, commenté ou partagé, nous pouvons voir que l’activité de l’audience, et qu’importe le parti concerné, se concentre finalement plutôt sur des sujets clivants et polarisants, comme l’immigration, le COVID, la guerre en Ukraine, etc.
Crédits Luca Sammarco / Luis Quintero / Photo de Tracy Le Blanc – Pexels / – Mise en avant : Torsakarin de Getty Images, gratuit avec Canva équipe
- Score du PS ou des Républicains en dessous de 5% aux élections de 2022 [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Fanny Seffusatti (11 octobre 2024). La participation politique en ligne et les réseaux d’influence. Questions de recherches. Consulté le 11 novembre 2024 à l’adresse https://recherches.hypotheses.org/4082