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Genre et formations scientifiques : où en est-on ?

La faible présence des femmes dans certaines disciplines scientifiques, notamment les mathématiques et l’ingénierie, demeure une question vive et actuelle. Si les femmes sont majoritaires dans d’autres champs comme la santé ou la biologie, les inégalités de genre restent marquées et s’articulent fortement aux origines sociales et à des raisons structurelles. Comprendre ces mécanismes supposer de dépasser les explications parfois psychologisantes pour interroger le rôle du système éducatif et des représentations sociales dans la construction des parcours.


Compte-rendu de l’intervention de Marianne Blanchard, lors de la journée d’étude « Femmes, sciences et médias », 21 juin 2024
Marianne Blanchard est sociologue au CERTOP


Cette contribution analyse la persistance des inégalités de genre dans certaines filières scientifiques, en les articulant aux effets de l’origine sociale. À partir des données récentes sur l’orientation scolaire et universitaire, elle questionne les discours dominants, principalement centrés sur l’autocensure ou les stéréotypes de genre, pour mettre en lumière les logiques structurelles qui façonnent les parcours et ouvrir de pistes de réflexion sur les leviers d’action possibles.

Une répartition sexuée et sociale des parcours scientifiques

Contrastes selon les disciplines scientifiques

La présence des femmes dans les sciences est loin d’être uniforme. Certaines disciplines connaissent une féminisation massive, tandis que d’autres restent fortement masculinisées. Ainsi, les filières de santé et de biologie affichent aujourd’hui une majorité d’étudiantes, parfois bien au-delà de la parité. Par exemple, plus de 60% des étudiants en médecine sont des femmes, tout comme dans les classes préparatoires BCPST (biologie, chimie, physique, sciences de la terre).

En revanche, dans les écoles d’ingénieurs, les classes préparatoires ou licences de mathématiques et de physique, les femmes restent minoritaires, souvent en dessous de 30%. Cette différenciation disciplinaire est le produit d’un processus historique où certaines sciences ont progressivement été associées à des qualités supposées genrées : l’altruisme ou le soin pour les unes, l’abstraction et la technicité pour les autres. Comprendre la place des femmes en sciences implique donc de mettre en lumière ces clivages internes entre les disciplines.

L’impact des réformes éducatives

La réforme du baccalauréat général, mise en place en 2019, a bouleversé l’accès aux disciplines scientifiques au lycée, en particulier aux mathématiques. En supprimant les anciennes séries (L, S et ES), au profit des spécialités à la carte, elle a introduit une logique de choix individualisé qui, paradoxalement, a renforcé les inégalités.

Les données montrent en effet une baisse significative de la proportion des filles poursuivant les mathématiques en terminale, notamment parmi les lycéennes issues de milieux populaires. Par exemple, seulement 4% des filles de milieux favorisés optent pour l’option « mathématiques expertes », contre 32% des garçons favorisés. Inversement, l’abandon complet des mathématiques touche plus de la moitié des filles des classes populaires. Cette réforme a donc accentué des écarts déjà existants entre filles et garçons, mais aussi entre élèves de différentes origines sociales.

Croisement des effets de genre et des origines sociales

L’analyse des parcours scientifiques montre qu’il est essentiel d’articuler les effets du genre et de l’origine sociale. Les recherches récentes montrent que l’origine sociale a parfois un poids plus déterminant que le genre dans l’orientation. Par exemple, un garçon de milieu populaire a statistiquement moins de chances d’intégrer une filière scientifique prestigieuse qu’une fille de milieu favorisé. Cependant, lorsque les deux critères se cumulent (être une fille issue d’un milieu populaire), l’éloignement des filières scientifiques est maximal.

Les données révèlent un effet de seuil, où l’association du genre féminin et d’une faible position sociale marginalise fortement les filles dans les parcours mathématisés. À l’inverse, les garçons favorisés s’orientent quasi automatiquement vers les filières les plus valorisées, sans que cela soit véritablement interrogé. Cette double articulation (genre et classe sociale) rend insuffisantes les analyses centrées uniquement sur les filles comme groupe homogène, et appelle à une lecture plus fine des inégalités et de leurs causes.

Limite des discours psychologisants et individualisations

Critique de l’approche par l’autocensure et les stéréotypes

Les discours dominants, tant médiatiques qu’institutionnels, expliquent souvent la sous-représentation des filles dans les filières scientifiques par l’autocensure ou les stéréotypes de genre. Cette approche psychologisante met l’accent sur le manque de confiance des filles en leurs capacités ou sur leur intériorisation des rôles sociaux qui les détourneraient des disciplines dites « masculines » (mathématiques, physique, ingénierie). Parfois, on évoque aussi l’absence de modèles féminins à suivre.

Mais cette approche minimise l’impact des structures éducatives et des mécanismes sociaux qui orientent les trajectoires. Comme le souligne Isabelle Collet dans « Lutter contre les stéréotypes ou changer les institutions ? », La Lettre de l’Association femmes & mathématiques, n°18, 2018 : « l’entrée par la lutte contre les stéréotypes dilue les responsabilités en les distribuant à tous les individus, car tout le monde a des stéréotypes ; elle déresponsabilise les acteurs vis-à-vis de leurs comportements, puisque les stéréotypes sont le plus souvent inconscients » (p.12). Ainsi, agir uniquement sur les représentations sans interroger les conditions matérielles et structurelles revient à culpabiliser les filles, perçues à la fois comme victimes et responsables de leur situation.

Invisibilisation des structures et des parcours masculins

En se focalisant sur les filles, ces discours et dispositifs de lutte contre les inégalités passent sous silence les structures sociales qui organisent les parcours, ainsi que la surreprésentation des garçons, en particulier issus de milieux favorisés, dans les filières scientifiques les plus valorisées. Leurs trajectoires sont souvent perçues comme « évidentes », échappant ainsi à toute interrogation critique.

Cette approche renforce l’idée que l’enjeu se situe uniquement du côté des filles, qu’il s’agirait d’encourager, de motiver, d’accompagner, sans remettre en cause l’entre-soi masculin dans les secteurs prestigieux. Pourtant, analyser les parcours des garçons, notamment l’orientation quasi-automatique vers les sciences techniques, et leur faible présence dans les filières du soin et du social, est indispensable pour repenser la mixité.

Par ailleurs, le poids de l’origine sociale, souvent absent de ces analyses, limite encore l’efficacité des dispositifs mis en place. La double occultation des structures éducatives et des trajectoires masculines continue ainsi à maintenir des inégalités, tout en donnant l’illusion d’agir.

Penser autrement les leviers d’action

Effets de la pluridisciplinarité et des contenus pédagogiques

Face aux limites des approches centrées sur les comportements individuels, il est nécessaire de réinterroger l’organisation des formations et leurs contenus. Les travaux montrent que ce n’est pas tant la perspective de faire des sciences qui éloigne les lycéennes, mais plutôt l’enfermement disciplinaire, l’idée de « de ne faire que cela », dans des cadres fortement spécialisés.

Les formations pluridisciplinaires rencontrent ainsi un plus grand succès auprès des étudiantes.

C’est le cas de double cursus associant sciences techniques et sciences sociales, ou encore des programmes intégrant une dimension humaniste, où les disciplines ne sont pas cloisonnées. À titre d’exemple, certaines prépas intégrées aux écoles d’ingénieurs, qui offrent cette ouverture, présentent des taux de féminisation plus élevés que les classes préparatoires scientifiques traditionnelles.

Ces observations soulignent qu’un réagencement des cursus et des contenus, favorisant l’ouverture discipline et l’intégration de questions sociales, constitue un levier efficace pour favoriser la mixité. 

Questionner la hiérarchie sociale des disciplines et des métiers

Penser autrement les leviers d’action implique aussi de remettre en question la hiérarchie sociale qui structure les disciplines et les métiers. Les sciences historiquement associées à un prestige social élevé (mathématique, physique, ingénierie), contrastent avec les métiers du soin, du social ou de l’éducation, où les femmes sont majoritaires, mais dont la valeur symbolique et économique reste faible.

Changer cette dynamique suppose de revaloriser les compétences relationnelles et les savoir-faire du care, essentiels au fonctionnement de nos sociétés. Il ne s’agit pas seulement « d’encourager les filles à faire de la science », mais aussi de diversifier les trajectoires masculines, en interrogeant leur mono-orientation vers les filières les plus prestigieuses.

Enfin, transformer le système éducatif passe par une action globale : sur les enseignants, les contenus, les institutions et les familles. En agissant sur les pratiques pédagogiques et les modes de valorisation des différentes filières, il devient possible d’ouvrir de nouvelles perspectives, non seulement pour les filles, mais pour l’ensemble des élèves, afin de construire des parcours moins contraints par les logiques de genre et de classe sociale.

Crédits image mise en avant : Photo de Pixabay

Crédits illustrations :


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Fanny Seffusatti (26 septembre 2025). Genre et formations scientifiques : où en est-on ? Questions de recherches. Consulté le 14 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14rc8


Fanny Seffusatti

Coordinatrice de projet au LabEx SMS

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